Le Panthéon, situé sur la colline Sainte-Geneviève à Paris, est un monument emblématique dédié aux grandes figures ayant marqué l’histoire de France. Construit à l’origine comme une église en 1758 sous le règne de Louis XV, il devient un temple laïque en 1791 lors de la Révolution française. Depuis, il accueille les dépouilles des hommes et des femmes ayant contribué de manière exceptionnelle à la République et à ses valeurs : liberté, égalité, fraternité.
La devise inscrite sur sa façade, “Aux grands hommes, la patrie reconnaissante”, reflète cet hommage national. La panthéonisation, qu’elle se fasse sous le regard de Napoléon ou sous celui de la République, est une décision hautement symbolique. Elle vise à honorer une vie d’engagement, d’altruisme ou de courage.
L’abbé de l’Épée et la lutte pour sa reconnaissance
L’abbé Charles-Michel de l’Épée, pionnier de l’éducation des Sourds, est une figure profondément symbolique. Décédé en 1789, avant la proclamation de la République, il n’a jamais connu ce régime. Pourtant, son œuvre éducative et son combat pour l’égalité ont durablement marqué l’histoire de l’éducation spécialisée et des droits des Sourds.
Si d’autres éducateurs avaient travaillé avec les Sourds avant lui, l’abbé de l’Épée a su institutionnaliser une méthode et créer la première école publique et gratuite pour les Sourds. Il a permis à cette communauté d’accéder au savoir et à la citoyenneté, brisant les préjugés de son époque.
L’abbé de l’Épée est aujourd’hui considéré comme le fondateur symbolique de la “nation sourde”, une reconnaissance largement attribuée à Ferdinand Berthier. Ce dernier a joué un rôle clé dans la construction de cette identité et dans l’affirmation de la fierté sourde.
Transférer les cendres de l’abbé de l’Épée au Panthéon ou apposer une plaque commémorative serait un acte hautement symbolique, reconnaissant son rôle pionnier dans l’émancipation et l’éducation des Sourds. Cela témoignerait de l’importance de son héritage et de sa contribution à l’égalité des droits pour tous.
Les premières revendications pour sa panthéonisation
Au XIXᵉ siècle, entre 1829 et 1880, de nombreuses associations de personnes sourdes ont vu le jour pour renforcer leur communauté et lutter contre les idées préconçues des entendants, qui les considéraient souvent comme des « malades mentaux ». Ces associations ont également milité pour améliorer les conditions des élèves sourds dans l’enseignement et préserver la langue des signes.
C’est dans ce contexte qu’Ernest Dusuzeau, surnommé “le Gambetta”, un proche de Ferdinand Berthier “le Napoléon sourd”, a proposé dès 1839 que les cendres de l’abbé de l’Épée soient transférées au Panthéon. Cette initiative visait à rendre hommage à l’abbé pour son rôle pionnier. Cependant, la proposition a suscité des débats, notamment en raison de son appartenance au jansénisme.
Après la découverte de ses cendres par Ferdinand Bethier, elles ont été identifiées à l’église Saint-Roch à Paris, où elles reposent toujours. Plusieurs tentatives ont eu lieu pour leur transfert au Panthéon, la dernière ayant été menée par Eugène Graff en 1938.
Bien que la séparation de l’Église et de l’État soit un principe fondamental en France, certaines figures religieuses ont été inhumées ou associées au Panthéon. Sous l’Empire, Napoléon Bonaparte a choisi de rendre hommage à des figures religieuses pour leurs contributions sociales et politiques, dans un esprit de réconciliation entre l’Église et l’État. Voici les personnalités religieuses inhumées ou honorées au Panthéon :
1. L’Abbé Henri Grégoire (1750-1831)
Symboliquement transféré au Panthéon en 1989, lors du bicentenaire de la Révolution française, l’abbé Grégoire est reconnu pour ses engagements humanistes :
Droits de l’Homme : Défenseur de l’égalité et du progrès social durant la Révolution française.
Abolition de l’esclavage : Militant actif pour la liberté et l’égalité des esclaves dans les colonies françaises.
Liberté de culte : Promoteur du respect de toutes les croyances dans une société laïque.
Cependant, ses cendres ne reposent pas au Panthéon. Elles restent dans son village natal d’Auteuil, en raison de l’opposition de certains groupes religieux qui rejetaient son rôle révolutionnaire.
2. Le Cardinal Giovanni Battista Caprara (1733-1810)
Caprara, cardinal italien et archevêque de Milan, a joué un rôle clé dans le rapprochement entre l’Église catholique et l’État français sous Napoléon Ier :
Concordat de 1801 : Artisan de cet accord mettant fin aux conflits religieux post-révolutionnaires.
Unité sociale et politique : Sa médiation permit de réconcilier une société divisée après la révolution.
Inhumé au Panthéon en 1810 sur décision de Napoléon, il est resté là jusqu’en 1861, date à laquelle ses restes furent transférés à Rome à la demande de sa famille.
3. Le Cardinal Charles Erskine de Kellie (1739-1811)
Représentant du pape Pie VII, Erskine joua un rôle central dans les relations diplomatiques entre Napoléon et le Saint-Siège :
Diplomatie religieuse : En tant que représentant du pape Pie VII, il joua un rôle dans les négociations complexes autour du Concordat et des relations entre la France et l’Église.
Soutien à la politique napoléonienne : Il participa activement à la réorganisation des structures religieuses en France.
Représentant du pape Pie VII, Erskine joua un rôle central dans les relations diplomatiques entre Napoléon et le Saint-Siège :
4. L’Évêque Ippolito-Antonio Vincenti-Mareri (1738-1811)
Partisan fidèle de Napoléon, Vincenti-Mareri joua un rôle important dans la stabilisation des relations entre l’Église et l’Empire :
Liaison entre l’Église et l’État : Vincenti-Mareri fut un partisan de Napoléon, contribuant à garantir que l’Église catholique reste un acteur conciliant dans la société française post-révolutionnaire.
Harmonisation des relations : Il œuvra pour stabiliser les relations entre l’Église et l’Empire, un enjeu crucial pour la cohésion nationale.
Inhumé au Panthéon en 1811, ses restes furent transférés en Italie en 1861 et réinhumés dans la chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale de Rieti.
Les inhumations sous Napoléon (Caprara, Erskine et Vincenti-Mareri) témoignent d’une époque où le Panthéon servait d’outil politique. Sous l’Empire, il symbolisait le rapprochement entre l’Église et l’État tout en consolidant l’autorité napoléonienne. Ces choix contrastent avec l’usage républicain du Panthéon, où l’hommage rend justice aux valeurs de liberté, égalité et fraternité.
Dans ce contexte, l’abbé de l’Épée représente une figure essentielle. Sa panthéonisation pourrait constituer une reconnaissance historique de son engagement en faveur de l’émancipation et des droits des Sourds. Bien qu’il n’ait jamais connu la République, son œuvre reste une référence universelle dans l’histoire de l’éducation et de l’inclusion sociale.