L’Abbé de l’Épée : Un Humaniste au Service des Sourds
Charles-Michel de l’Épée (1712-1789), souvent surnommé le père des sourds, est une figure majeure de l’éducation et de l’émancipation des sourds. Né le 24 novembre 1712 à Versailles, cet homme profondément humaniste a marqué l’histoire en consacrant sa vie à l’intégration sociale et éducative d’une communauté trop longtemps ignorée.
Un engagement né du hasard
L’éducation des sourds n’était pas le projet initial de l’abbé de l’Épée. C’est une rencontre fortuite qui changea le cours de sa vie. En 1753, il croise deux jumelles sourdes-muettes, orphelines de leur éducateur. Leur aptitude naturelle à communiquer par des gestes le bouleverse profondément.
À cette époque, l’abbé, écarté du clergé parisien pour ses positions jansénistes, cherchait une nouvelle voie pour mettre son humanisme en pratique. Cette rencontre devient un véritable déclic, le poussant à utiliser ses connaissances et son énergie pour l’éducation des sourds. Ce choix, dicté par le hasard et son sens du devoir, deviendra une vocation profonde.
Les signes méthodiques : Une révolution pédagogique
Partant d’une simple observation, l’abbé de l’Épée développa une méthode pédagogique révolutionnaire. Inspiré par les gestes utilisés par les sourds, il créa les signes méthodiques, une langue visuelle enrichie par les règles de la grammaire française. Ce système permit aux sourds :
• De communiquer clairement, au-delà des gestes naturels.
• D’accéder à des notions abstraites, ouvrant ainsi les portes d’une véritable éducation intellectuelle et spirituelle.
En 1760, il fonda à Paris la première école gratuite pour sourds, située au 14 rue des Moulins. Cette institution, accessible à tous, notamment aux plus démunis, devint un modèle d’instruction collective. Rapidement, elle attira l’attention en France et en Europe, devenant un symbole d’éducation et de dignité.
Un combat pour la dignité des sourds
Au-delà de l’enseignement, l’abbé de l’Épée s’est battu pour faire reconnaître les droits et la valeur des sourds :
• L’Affaire Solar : Il prit la défense d’un jeune sourd qu’il croyait être un comte disparu. Bien que controversée, cette affaire témoigne de son acharnement à défendre la dignité des sourds, malgré les critiques et moqueries.
• Critiques et rivalités : L’abbé fit face à des opposants, notamment Jacob Rodrigues Pereire, mais son humanisme et sa foi le portèrent à persévérer dans son œuvre.
L’Abbé Salvan : L’héritier oublié
Claude Salvan, choisi par l’abbé de l’Épée pour lui succéder, partageait ses idéaux et maîtrisait parfaitement les signes méthodiques. Cependant, après la mort de l’abbé en 1789, Salvan fut écarté au profit de l’abbé Sicard, une figure plus visible et médiatisée. Cet oubli soulève des questions sur la reconnaissance des héritiers d’un tel héritage humaniste.
Un héritage universel
L’abbé de l’Épée a profondément changé la perception des sourds et leur place dans la société :
Une école innovante : Fondée en 1760, elle accueillit gratuitement des élèves issus de milieux défavorisés, proposant une instruction collective inédite.
Une méthode pédagogique révolutionnaire : Les signes méthodiques, conçus par L’Épée, offrirent aux sourds un accès aux idées abstraites et au savoir.
Un modèle international : Son école devint une référence mondiale, inspirant des institutions éducatives pour sourds en Europe et dans le monde.
Un modèle d’humanisme intemporel
L’abbé de l’Épée n’a pas seulement permis aux sourds d’accéder au savoir : il leur a redonné sans le savoir une place dans la société et a démontré qu’ils étaient capables de participer activement à la vie citoyenne. Par son humanisme, il a ouvert une voie qui continue d’inspirer aujourd’hui.
Les grandes étapes de la vie de l’abbé de l’Épée
1712 : Naissance à Versailles, le 24 novembre, dans une famille aisée ; son père est architecte du roi.
1731-1736 : Études de théologie et de droit à la Sorbonne.
1736 : Reçoit le sous-diaconat et est nommé curé de Fouges, mais ne poursuit pas la prêtrise en raison de désaccords sur le jansénisme.
1753 : Rencontre fortuite avec deux jumelles sourdes-muettes, qui déclenche son engagement dans l’éducation des sourds.
1760 : Fonde une école gratuite pour sourds, située au 14 rue des Moulins à Paris.
1774-1775 : Rencontre avec le jeune Victor de Solar à l’Hôtel-Dieu, une affaire controversée qui marquera sa carrière.
1777 : Joseph II, empereur d’Autriche, visite son école en compagnie de sa sœur Marie-Antoinette, reine de France.
1780 : L’abbé est félicité par l’ambassadeur de Russie, qui lui envoie un élève sourd pour poursuivre son enseignement.
1782 : Publication de La véritable manière d’instruire les sourds-muets, où il détaille sa méthode éducative.
1789 : Décès à Paris, le 23 décembre, à l’âge de 77 ans, laissant un héritage pédagogique unique.
1791 : L’Assemblée Constituante reconnaît officiellement son œuvre, transformant son école en Institut National des Jeunes Sourds de Paris.
Chronique des dates dans la vie de l’Abbé de l’Epée en détail
1712: Naissance et baptême (24 et 26 nov.) de Charles Michel Lespée, fils de Ch. Fr. Lespée et de Fr. M. Varignon (Paroisse N. D. à Versailles).
1720: Ch. Fr. Lespée et son épouse acquièrent un terrain à Paris, rue Neuve du Luxembourg, paroisse Saint Roch (21.8.) où ils feront bâtir. La famille Lespée habitait rue de Richelieu à Paris.
1722: Mort de Catherine Housse, épouse Lespée, paroisse N. D. à Versailles en août.
1724: Rencontre de Charles Michel avec celui qui deviendra son “intime ami” le destinataire de quatre “Lettres” publiées par Charles Michel de 1771 à 1774. Probablement destiné au Curé de l’Eglise Saint Roch, à Paris.
1727: Mort de Jean-François Lespée, demi-frère de Charles François Lespée, ingénieur Ponts Chaussés dans la généralité de Poitiers. La famille Lespée habitait rue Louis-Le-Grand, à Paris.
1728: Charles François Lespée; architecte à La seconde classe de l’Académie Royale d’Architecture (16 oct.)
1728-1730: Charles Michel Lespée suit les cours de philosophie d’A. Geffroy, au Collège Quatre-Nations à Paris.
1730: Charles François Lespée achetait à architecte Jacques Gabriel une maison rue Louis-Le-Grand à Paris (1er février.).
Mort de Jacques Varignon, aïeul maternel de Ch. Michel (5 oct.).
1730-1733: Charles Michel Lespée, étudiant à la Faculté de Droit, Université de Paris.
1731: Charles Michel devint clerc présenté à cette occasion à l’Archevêché de Paris, il refusait de signer le formulaire.
1732: Charles Michel était reçu au Bac (28 août).
1733: Charles Michel, licencié ès lois de l’université de Paris (25 mai). Il était reçu avocat au parlement du 13 juillet.
1736: Charles Michel est nommé curé de Feuges (paroisse de St. Benoist) en Champagne (23 mars), promu aux quatre ordres mineurs et au sous-diaconat (31 mars). Ordonné diacre le 22 septembre.
1737: Louis XV accordait à Charles François Lespée la jouissance d’une maison rue St. Vincent à Paris (février) La famille Lespée acquît une maison de la rue des Moulins, butte et paroisse St. Roch à Paris (4 mai). C’est dans cette maison que leur fils Charles Michel fondait la première école gratuite pour les sourds-muets. Le père était nommé architecte de la construction du Chœur de l’Eglise Ste Marguerite à Paris.
1738: Charles Michel, chanoine de Pougy, en Champagne (8 mars) et prêtre le 5 avril.
1739: Il interjeta appel à la bulle “Unigenitus”. Correspondance avec Jean Soanen exilé à la Chaise-Dieu (26 janv.). Il démissionnait de son canonicat de Pougy (23 juillet) et s’installa chez ses parents.
1740: Famine à Paris. Guerre de pain. Mort de Jean Soanen 23 juillet.
1743: Le père remit à l’Académie Royale d’Architecture son “Traité du Toisé” le 4 février.
1744: Charles Michel renouvelait son acte d’appel de 1739 contre la Bulle le 14 oct.
1746: Célébration des fiançailles et de mariage de Jacques François frère de Charles Michel, avec Louise Suzanne de La Roche à l’Eglise St .Roch le 19 avril.
Le père cédait à son fils Jacques François son emploi d’expert des bâtiments.
1747: Charles Michel devint chapelain titulaire de la chapelle St. Pierre et St. Paul de l’Eglise St. Benoist le Bientonmé à Paris (23 juin).
Son frère devint architecte à la seconde classe de l’Académie Royale d’Architecture sur la démission de son père (28 sept.).
1748: Charles Michel est nommé chanoine honoraire de l’Eglise St. Louis du Louvre le 16 août. Naissance du neveu Jacques Louis François Lespée le 24 octobre .
1750: Mort de Louise Suzanne de la Roche le 3 février, belle-sœur de Charles Michel.
1759: Mort de Charles François Lespée, rue des Moulins le 29 avril. Guérison “miraculeuse” de Marie Anne Pigalle, épouse du Sieur Denis Mascrey, à la suite d’une neuvaine au Saint Sacrement, paroisse St. Roch. Première publication “anonyme” de Charles Michel “relation de la maladie et de la guérison miraculeuse de Marie Anne Pigalle”. Mort de Simon Vassin, prêtre de la doctrine chrétienne ayant entrepris l’instruction des jumelles sourdes-muettes le 19 sept.
1760: Les Nouvelles Ecclésiastiques rendaient compte de la publication concernant la guérison miraculeuse de la Dame Mascrey le 9 avril.
Mort de la mère du Charles Michel le 16 mai, rue des Moulins.
Au milieu de l’été, rue des Fossés Saint Victor, rencontre de Charles Michel avec les jumelles sourdes-muettes. Il commença leur instruction.
1762: Marie Françoise Lespée, sœur de Charles Michel, rédigeait son testament le 14 sept.
1763: Mort de Marie Françoise Lespée, rue des Moulins le 30 sept.
Charles Michel a commencé la rédaction d’épais “Cahiers” manuscrits – recueil de leçons à l’usage de ses élèves sourds-muets.
1765: Son frère Jacques: architecte à la première classe de l’Académie le 7 janvier.
Mort de Jacques Louis François Lespée, 16 ans et demi, fils de l’architecte et neveu de Charles Michel.
1771: Première exercice publiée du Sourd-Muet, rue des Moulins chez leur “Instituteur” Charles Michel, Abbé de l’Epée (30 élèves).
1771-1772: Rencontre de L’Abbé de l’Epée et Jacob Rodiguerz Pereire.
1772: Exercices publics des sourds-muets rue des Moulins les 30 juin, 2 et 4 juillet. Publication de la lettre donnée en 1771 et d’une seconde lettre de l’Institution des Sourds-muets.
1773: Exercices publics des sourds-muets rue des Moulins les 2,4 et 6 août. Publication d’un recueil comprenant le programme et les lettres I à III.
1774: Exercices publics des sourds-muets rue des Moulins le 31 août Publication de l’Institution des sourds-muets, recueil des exercices soutenues de 1771 à 1774, avec les lettres I à IV et les programmes. Mort de Louis XV. Avènement de Louis XVI.
1775: l’abbé de l’Epée rédigeait son testament le 12 mai. Disette à Paris (manque de vivres).
1776: Publication de l’Abbé de l’Epée : Institution des sourds-muets par la voie des signes méthodiques. A l’Hôtel-Dieu (hôpital), L’Abbé de l’Epée rencontrait un Sourd-Muet inconnu (février) qu’il a pris sous sa protection (mars) et nomma Joseph. Il célébrait un mariage à Villereau d’où se trouva la propriété de sa famille, souvent il y emmena les élèves pendant les congés.
1777: L’empereur d’Allemagne Joseph II se rendit chez l’Abbé de l’Epée, rue des Moulins le 7 mai. Belle histoire du don d’une tabatière en or, ornée de son portait.
Début d’une longue procédure judiciaire, l’affaire Solar, concernant le jeune Sourd-Muet Joseph; est-il ou non le fils du Comte de Solar ?
Observation du Docteur Perrolle sur les élèves de l’Abbé (fin août et puis octobre) La Société des Bonnes Gens décernait une médaille à l’Abbé de l’Epée le 21 septembre.
1778: L’abbé F. Storck, envoyé par l’empereur Joseph II venait prendre des leçons de l’Abbé de l’Epée qui a commencé à former de nombreux disciples, tant étrangers que français. Arrêt du Conseil du roi Louis XVI – en faveur de l’établissement fondé par l’Abbé de l’Epée le 21 novembre. L’abbé est élu à l’Académie de Châlons sur Marne. Le procès Solar continuait.
1779: Suite du procès Solar. Publication d’une lettre de l’Abbé de l’Epée adressée à Elie de Baumont (l’un des avocats de la partie adverse). Pendant ses vacances à Villereau, l’Abbé bénit une cloche dont son frère Jacques était le parrain.
1780: Suite du procès Solar. L’Abbé de l’Epée démissionnait de ses titres et fonction du chapelain à l’Eglise Saint Benoist-le-Bientourné le 22 mai. Vacances à Villereau.
1781: Procès Solar : la sentence est rendue le 28 février; le jeune Joseph est reconnu comme étant le fils du comte de Solar.
1782: Début de la controverse entre l’Abbé de l’Epée et l’instituteur allemand des sourds-muets Samuel Heinieke. Dr Perrolle : dissertation anatomie acoustique (contenant des observations faites en 1777 sur les élèves de l’Abbé de l’Epée).
1783: Le Nonce du Pape assistait à un “exercice des sourds-muets” chez l’Abbé de l’Epée le 13 août.
1784: Publication par l’abbé de l’Epée de la “Véritable manière d’instruire les sourds-muets” confirmée par une longue expérience. Il devenait membre de la Société Philanthropique le 18 mai.
1785: Second arrêt du Conseil du roi attribuant une partie des bâtiments de l’ancien couvent des Célestins à l’école fondée par l’Abbé de l’Epée ainsi qu’une contribution financière le 25 mars. Il avait instruit 72 élèves.
L’abbé Sicard (1742-1822) venait prendre des leçons auprès de lui.
1786: Réflexions chrétiennes sur la précipitation scandaleuse des messes par l’abbé de l’Epée. Ouverture de l’école des sourds-muets à Bordeaux (aujourd’hui à Gradignan) le 20 février par l’Abbé Sicard. Parution à Vienne d’un ouvrage intitulé : “Guide pour l’instruction des sourds-muets suivant la méthode de l’Abbé de l’Épée de Paris”.
1787: L’Abbé est nommé associé correspondant du musée de Bordeaux.
1788: Articles “Sourds et Muets” (Art d’instruire les) – Encyclopédie méthodique des Arts et Métiers mécaniques.
1788-1789: Hiver très rigoureux.
1789: L’abbé, gravement malade en août, mourait le 23 décembre. Il est inhumé à l’Eglise St. Roch, le 24 décembre, en présence d’une délégation des Représentants de la Commune de Paris. Réunion des Etats Généraux à Versailles. Serment du Jeu de Paume le 20 juin. Assemblée Constituante le 9 juillet.
Prise de la Bastille le 14 juillet. Formation de la Garde Nationale. Nuit du 4 août : abolition des privilèges. Déclaration des droits de l’homme le 26 août. Nationalisations des biens du clergé. Le devenir de l’institution des sourds-muets fondée par l’Abbé de l’Epée est à l’ordre du jour de la séance de l’assemblée des représentants de la commune de Paris le 29 décembre.
1790: L’Institution des sourds-muets à l’ordre du jour de nombreuses séances de l’assemblée des représentants de la commune de Paris. L’Abbé Sicard est nommé “premier instituteur” de l’école des sourds muets, il remplaçait L’abbé Masse, directeur provisoire nommé par la Commune de Paris (avril). Vote de la constitution civile du clergé le 12 juillet.
1791: Le nom de l’abbé de l’Epée est placé au nombre de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l’humanité et de la patrie, son école est élevée au rang de l’institution Nationale les 21-29 juillet.
1792: le 19 janvier, mort de Jacques François de l’Epée, frère de l’abbé Dernier jugement rendu dans l’affaire Solar: le jeune Joseph n’est pas le fils du comte de Solar et défense lui est faite de porter ce nom le 24 juillet.
1794: L’institution Nationale des sourds-muets de Paris s’installa dans l’ancien séminaire Saint Magloire, actuelle rue Saint Jacques à Paris 5ème.
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